« On sait que, faute d’avoir pensé un urbanisme commercial à la bonne échelle, on a laissé se constituer dans leur périphérie des centres commerciaux trop importants. Le cœur de ces villes tend donc à se vider de ses commerces ». Emmanuel Macron, Révolution, p.159
Emmanuel Macron n’a pas tardé à mettre en pratique ces paroles, que beaucoup d’entre nous partagent. Le gouvernement s’est ainsi délocalisé à Cahors sans autre objectif que d’apporter une réponse à ce problème.
« Notre pays est confronté depuis des années à des vitrines fermées, des immeubles dégradés, des rues délaissées qui nourrissent un sentiment d’abandon aux lourdes conséquences ». Edouard Philippe.
Le plan en faveur des villes moyennes annoncé par gouvernement correspond à la réponse apportée par l’exécutif. Il est à la fois ambitieux sur le plan économique, mais très prudent sur le plan des changements de mode de fonctionnement.
5 milliards € pour les villes moyennes, cela constitue sans aucun doute une manne qui sera convoitée par de nombreux territoires. Mais le constat effectué par Emmanuel Macron est-il vraiment un problème d’argent et de priorités financières ?
C’est loin d’être aussi simple.
Tout d’abord, l’étalement commercial est intimement lié à l’étalement urbain. Il correspond à un modèle d’habitat et de mobilité fondé sur la voiture individuelle, donc extrêmement énergivore. Il nécessite la construction de réseaux, de routes, de transports de commun, qui vont de plus en plus loin dans la périphérie des villes. La consommation des terres agricoles et l’étanchéification des terrains produit d’autres conséquences environnementales. L’étalement urbain n’affiche aucun ralentissement dans la plupart des villes françaises. Tous les 10 ans, c’est un département qui est consommé par l’étalement urbain. Les villes et villages sont pour nombre d’entre eux touchés par ce phénomène. Les raisons sont multiples : modèle d’habitat individuel, coût bas de l’habitat périphérique, coût de l’énergie assez favorable. Pour faire revenir les commerces en centre-ville, il faut probablement y faire revenir aussi les habitants, donc freiner l’étalement urbain. Cela passe par l’urbanisme, mais surtout par une volonté locale, souvent absente, au profit d’intérêts à court terme.
Un autre sujet n’est pas évoqué. Et pourtant, il risque de devenir très présent sur les territoires lors des prochaines années. Si les surfaces commerciales périphériques se sont accrues trois fois plus vite que l’augmentation du PIB, ce sont également les premières touchées par les évolutions de la consommation. La digitalisation de nombreux secteurs et l’e-commerce auront des conséquences importantes sur ces zones périphériques dans les toutes prochaines années. Dans certaines villes, les zones périphériques connaissent déjà des taux de vacance plus importantes qu’en centre-ville. Les « dead malls », centres commerciaux vides, ne sont pas encore aussi présents en France qu’en Chine ou aux Etats-Unis mais la tendance inquiète nombre de professionnels. Après la « France moche », ce sera peut-être dans certaines agglomérations une « France encore plus moche » couverte de friches commerciales.
Le gouvernement a refusé un moratoire sur la création de zones commerciales en reportant ce sujet sur les mairies. Le ministre Jacques Mézard a d’ailleurs indiqué qu’il « souhaite donner aux élus plus de latitude ». Cela montre toute l’ambiguïté des prises de décisions publiques, laissant ainsi aux collectivités locales et aux CDAC le rôle de maîtriser l’évolution, dont nous voyons pourtant les résultats. Le fonctionnement même de la CDAC devrait probablement être revu, afin qu’il ne soit pas une simple chambre d’enregistrement de décisions déjà actées. Dans nombre de villes françaises, la désertification des commerces en centre-ville, souvent repositionnés en périphérie, mais aussi des activités de service (cabinets médicaux, notaires, services publics, etc.), est une conséquence de décisions locales.
Le rôle du Maire, certes essentiel, n’est évidemment pas exclusif et est très hétérogène. La responsabilité des distributeurs n’a pas toujours été citée. Or elle joue un rôle fondamental. Le récent exemple du Maire de Boulogne-sur-Mer, qui a décidé de financer une campagne publicitaire contre un distributeur, H & M, qui a décidé de quitter le centre-ville, est caractéristique de la prise de conscience de certains maires qui n’acceptent plus cette situation et ont décidé de réagir.
Il manque probablement dans ce plan un cadre juridique, comme il existe en Grande-Bretagne ou en Allemagne, qui freine le développement de l’urbanisme commercial en périphérie et permet de favoriser le développement commercial en centre-ville. Le levier fiscal pourrait aussi être utilisé.
Bonne nouvelle toutefois, le plan évoque le sujet des services publics, parfois les premiers à se délocaliser en périphérie.
Mais le centre-ville peut retrouver, au travers de l’e-commerce, une nouvelle fonction. La véritable market place locale, c’est celle du centre-ville, qui dispose de nombreux atouts pour constituer un pôle d’attraction des activités et permettre la réduction de la dépendance à la voiture individuelle. La numériser est un atout, qui ne semble pas apparaître dans le plan. Pouvoir développer des plates-formes numériques de commerces de proximité constitue un enjeu majeur pour les centres villes.
Ce plan est toutefois le premier sur ce sujet essentiel. Laissons-lui l’opportunité de réussir et de responsabiliser les acteurs, notamment locaux.
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