Faut-il réglementer les dark kitchen ?

Les plateformes de livraison de repas, qui connaissent une formidable croissance depuis la crise du COVID-19, sont toutefois confrontées à un modèle logistique peu performant.

Les repas sont cuisinés par des restaurateurs, qui sont pour certains totalement fermés et pour d’autres ouverts pour la livraison et le click & collect. En temps normal, ces restaurateurs supportent les charges d’un restaurant, avec une salle, des serveurs, un loyer dans une rue attractive.

Par ailleurs, les restaurants sont souvent spécialisés : pizza, burger, sushis…Commander une pizza et un burger est alors compliqué dans le même restaurant.

Les plateformes ont donc inventé un nouveau modèle, le restaurant sans salle. Les coûts de préparation des repas sont ainsi réduits et les cuisines de différentes spécialités sont regroupées. Sur le plan logistique, ces cuisines centrales peuvent préparer des tournées de livraison de repas plus facilement que des restaurants indépendants, positionnés de façon éclatée sur le territoire urbain.

Plusieurs terminologies sont en fait utilisées.

Les « ghost kitchen », ou cuisines fantômes, sont des cuisines qui ont comme unique fonction de préparer des plats remis à des livreurs. Ce concept connait un énorme succès dans plusieurs pays du monde. Leur nombre est estimé à 7500 en Chine et 1500 aux Etats-Unis. En France, ce modèle est émergent mais mérite d’être un peu mieux compris.

Les « dark kitchen » correspondent au même type d’installations mais peuvent aussi accueillir des clients qui viennent retirer leurs commandes à un comptoir de click & collect.

Derrière ce concept se cachent de nombreuses fonctionnalités qui présentent un risque pour les restaurants, mais aussi sur le plan social et environnemental.

Pour les restaurants, il s’agit d’une concurrence directe. En effet, les restaurants sont fermés alors que les dark kitchen et ghost kitchen ont l’autorisation d’ouvrir.

Mais un des sujets concerne les données. En effet, les plateformes disposent des données provenant des restaurants, notamment les noms des clients, leurs habitudes de consommation. Elles pourraient alors les utiliser pour développer ces nouveaux concepts.

Sur le plan environnemental, les dark kitchen sont souvent situées dans des emplacements assez bon marché, plus éloignés des zones de consommation que les restaurants. De ce fait, les livreurs choisissent plus facilement d’utiliser des scooters que des vélos. Le risque est alors le développement d’un modèle de livraison polluant, bruyant et accidentogène.

Sur le plan social, la livraison reste très majoritairement confiée à des livreurs auto-entrepreneurs, peu rémunérés. Le rapport réalisé par l’Université Gustave Eiffel / Ifsttar sur les livraisons instantanées à Paris est édifiant. 98% des livreurs sont des hommes, 31% des livraisons sont effectuées en scooter et 16% en Velib. 73% sont des livreurs à plein temps et 37% d’entre eux utilisent un compte en partage. Ce dernier chiffre laisse penser que de nombreuses pratiques se développent : livraison par des mineurs ou des personnes en situation irrégulière.

Ce modèle, qui se développe en dehors de toute réglementation, doit donc faire l’objet d’un encadrement réglementaire plus strtict, avant que cela ne soit trop tard pour réagir.

Cette réglementation peut concerner les sujets suivants :

  • Utilisation des données. L’utilisation des données des clients des restaurants devrait être encadrée afin d’éviter une concurrence nouvelle.
  • Ces modèles sont fortement consommateurs d’emballages jetables. A une époque de sensibilisation des consommateurs aux emballages et au plastique, une utilisation d’emballages biodégradables et d’emballages récupérables devrait être encouragée.
  • Les premières dark kitchen situées près de Paris sont mal acceptées par les riverains. Grand nombre de scooters, bruit… Nous sommes très loin de modèles vertueux sur le plan environnemental. Du fait des plaintes des riverains, certaines villes comme Nantes sont amenées à réglementer les pratiques locales.
  • De nombreux modèles que nous observons actuellement sont à l’opposé de modèles sociaux vertueux.

Le législateur pourrait alors s’intéresser à

  • mieux responsabiliser les plateformes sur leurs pratiques
  • garantir un modèle acceptable sur le plan social et environnemental
  • éviter une concurrence assez mal venue dans la période actuelle avec les restaurants.

Une option, qui pourrait être appuyée par le fait que ces plateformes utilisent largement l’espace public et les installations publiques (comme les Velib) serait d’autoriser les villes à agréer ou refuser les plateformes de livraison de repas qui interviennent sur son territoire, comme elles commencent à le faire sur les vélos et trottinnettes en free floating.

Une chose est en tout cas certaine : la loi d’orientation des mobilités, tout juste votée, est déjà dépassée !

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