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Le 8 juin dernier, la ministre des transports Elisabeth Borne annonçait les grandes lignes d’un Xième plan de relance du fret ferroviaire.  La logistique urbaine n’est pas absente du dispositif. La ministre indiquait : « Il n’y a pas de logistique urbaine sans fret ferroviaire ».

Cette phrase choc, reprise par la presse, interpelle et mérite une analyse plus approfondie.

Revenons d’abord à l’histoire.

Le premier entrepôt embranché fer date de 1830, il y a donc près de 200 ans. C’est à Manchester que le premier entrepôt au monde, directement approvisionné par la voie ferrée, a été réalisé. Il utilisait la toute nouvelle ligne ferroviaire reliant le port de Liverpool à Manchester. Cette ligne était d’ailleurs la première ligne ferroviaire interurbaine au monde. Il s’agit de l’entrepôt d’une usine de filage de coton, qui a fait la fortune de Manchester, était approvisionnée en coton importé provenant du port de Liverpool.

premier entrepôt embranché fer de Manchester

Cet entrepôt, contrairement à de nombreux sites ferroviaires français, régulièrement détruits, à été conservé et transformé en musée des sciences et des techniques. Il fait partie de l’histoire de la logistique urbaine et du patrimoine logistique.

site de La Chapelle en cours de destruction

Près de 200 ans après, les techniques ont finalement assez peu évolué. C’est peut-être là un des problèmes du ferroviaire. Globalement, le fret ferroviaire en France est en 2017 au niveau des chiffres enregistrés… en 1923. Il représentait en 2017 moins de 10% du transport terrestre de marchandises, hors oléoducs, en tonnes-kilomètres.

intérieur de l’entrepôt de Manchester, en 1924

Pour simplifier, il existe 3 méthodes différentes.

La première méthode se rapproche de celle de 1830, c’est le transport de produits en vrac vers un site, qu’il soit céréalier, pétrolier, chantier de construction.  Cela représente l’essentiel du fret ferroviaire, plus exactement 85% du tonnage. Il s’agit de transport de céréales, de produits sidérurgiques, de vrac liquide (produits chimiques, pétroliers), de matériaux de construction. Il peut s’agit de fret urbain, mais toutefois assez rarement.

Le second segment est la conteneurisation, en provenance des ports (containers maritimes) ou de chantiers multimodaux transportant des caisses mobiles (caisses routières). 49 terminaux équipent le territoire français, dont 13 fluviaux, 27 ferroviaires et 9 trimodaux. Nous avons donc 36 terminaux ferroviaires en France. Le transport combiné rail route a lui aussi perdu des parts de marché. Il correspondait en 2008 à 9,2 milliards de tonnes-km et en 2016 à seulement 7,5 milliards. Le transport combiné, moins important en France que dans certains autres pays, correspond pour plus de 80% du trafic au transport de conteneurs au départ des ports, notamment du Havre et Marseille. Il y a un vrai enjeu de logistique urbaine à maintenir et développer des chantiers de transport combiné dans les agglomérations, comme c’est le cas avec le dernier terminal de La Chapelle, construit par Sogaris, mais les obstacles restent énormes : fiabilité du service, qualité des sillons, coût et surtout concurrence avec la route, qui est soumise à bien peu de contraintes.

Le troisième segment est celui des autoroutes ferroviaires. Il ne s’agit alors pas de manutention de caisses, mais d’engins routiers complets, avec ou sans la cabine. Cette technologie est celle utilisée pour le franchissement d’obstacles physiques : les Alpes, la Manche. Elle a été développée sur des longues distances comme la ligne Perpignan-Luxembourg, qui fonctionne très bien, ou plus récemment Calais-Turin. Le potentiel de développement des autoroutes ferroviaires sur des trajets internationaux est important, afin de réduire le nombre de camions en transit. En milieu, urbain, même si cela avait été envisagé à l’origine pour La Chapelle, cela semble complexe.

Avec près de 200 ans d’histoire, le fret ferroviaire va se retrouver avec de nouveaux concurrents, qui risquent de mettre à mal les tentatives semble-t-il inépuisables, de planifier un retour de trafic.

Tout d’abord le fluvial. Nous l’avons oublié car c’est bien dans l’histoire le mode ferroviaire qui a détrôné le fluvial. Si le CSNE est finalement réalisé, ce que l’on ne peut que souhaiter, le fluvial retrouvera ses lettres de noblesse et permettra de réduire le nombre de camions sur les routes. Le mode fluvial est loin d’être saturé et permet, dans de nombreuses agglomérations, comme Paris ou Lyon, d’arriver en centre-ville.

Mais la principale concurrence du ferroviaire sera sans nul doute … la route. Les technologies à venir de platooning, de véhicules autonomes, de route « intelligente » et dotée d’énergie électrique, de charge par induction ou par caténaire, donneront alors à la route une pertinence environnementale nouvelle.

Nous pouvons imaginer que les autoroutes retrouvent une utilisation nouvelle avec des voies réservées, alimentées en énergie électrique, par le dessus ou le dessous. La route sera peut-être solaire et donc elle-même productrice d’énergie.

Le mode ferroviaire, très rigide et souvent saturé, ne supportera alors pas la concurrence face à une route redevenue propre et apportant une souplesse d’utilisation.

Dire qu’il n’y a pas de logistique urbaine sans fret ferroviaire semble alors un peu présomptueux et heureusement inexact. De nombreuses solutions, peut-être plus faciles à mettre en œuvre que le mode ferroviaire existent : consolidation des flux, fluvial, livraison en modes doux, livraison de nuit, comodalité avec les transports publics, espaces logistiques de proximités… et évidemment le mode fluvial. Le mode ferroviaire peut correspondre à une des solutions mais les exemples montrent que les solutions ferroviaires ne sont pas les plus simples à mettre en oeuvre.

L’évolution rapide des technologies laisse penser qu’une nouvelle révolution des transports s’annonce. Dans quelques décennies, les sites ferroviaires marchandises deviendront alors peut-être des musées…en espérant que nous en conservions quelques uns pour ma mémoire de l’histoire des transports et de notre patrimoine.

L’avant-projet de loi d’orientation des mobilités vient d’être transmis au Conseil d’Etat. Logicités s’est procuré ce projet et l’a analysé, pour les sujets concernant la mobilité des marchandises.

Le titre 1 de cette loi « AMÉLIORER LA GOUVERNANCE DES MOBILITÉS POUR MIEUX RÉPONDRE AUX BESOINS QUOTIDIENS DES CITOYENS, DES TERRITOIRES ET DES ENTREPRISES » intègre de nombreuses modifications de textes légaux, touchant essentiellement à la mobilité des personnes. Un élément, certes non contraignant, est une modification d’un article du code de l’urbanisme permettant aux collectivités locales de « délimiter, dans les zones urbaines ou à urbaniser, des secteurs dans lesquels la réalisation d’équipements logistique est nécessaire et définir, le cas échéant, la nature de ces équipements ainsi que les prescriptions permettant d’assurer cet objectif ».

Le titre 2 « REUSSIR LA REVOLUTION NUMERIQUE DANS LES MOBILITES » a pour objectif d’encourager les innovations en matière de mobilité, de favoriser les expérimentations et réguler les nouvelles formes de mobilité. Une disposition importante prévue dans ce projet concerne la possibilité pour les collectivités locales de réserver certaines voies ou certaines portions de voies communales, de façon temporaire ou permanente, à diverses catégories d’usagers, de véhicules ou à certaines modalités de transport. Cette disposition ouvrirait ainsi des perspectives à un meilleur partage de la voirie.

Le titre 3 « DEVELOPPER LES MOBILITES PROPRES ET ACTIVES » parle essentiellement d’un sujet important, consistant à réserver des espaces de stationnement vélo lors des aménagements et projets immobiliers. L’article 22 mentionne le changement de vocabulaire. Nous ne parlerons plus de Zone à Circulation Restreinte mais de Zone à Faibles Emissions. Ces zones deviennent obligatoires lorsque les normes de qualité de l’air ne sont pas respectées de manière régulière.

C’est dans le titre de 4 de cette loi, « SIMPLIFICATION ET MESURES DIVERSES » qu’apparaissent diverses mesures visant à améliorer la compétitivité du transport maritime, fluvial et ferroviaire. Il est notamment prévu que « L’Etat peut instaurer un dispositif visant à prendre en charge une part des coûts de l’utilisation de l’infrastructure ferroviaire par des opérateurs de service de transport de fret, permettant de favoriser ce mode de transport par rapport à d’autres modes qui présentent des externalités négatives plus importantes, tel que le transport routier de marchandises ».

Bien sûr, cette analyse reste partielle et le document n’est que provisoire. Le document disponible ne prévoit en tout cas que bien peu d’éléments concernant la logistique urbaine et, s’il s’agit du document complet, les professionnels qui se sont engagés dans les assises de la mobilité ne peuvent être qu’un peu déçus. Peut-être y a-t-il une autre version du document ou d’autres chapitres de cette loi qui ne sont pas encore apparus.

Alors attendons la suite de cette loi tant attendue, qui doit théoriquement intégrer des dispositions fortes concernant la logistique urbaine.

Quelques faits majeurs ont marqué cet été 2018 pour ce qui concerne la mobilité

Tout d’abord, la fin de Foodora en France, le 28 septembre prochain, interpelle. C’est d’abord une mauvaise nouvelle pour les 1500 coursiers répartis sur 8 villes, qui avaient misé sur cette plateforme. Cela reste bien sûr une bonne nouvelle pour ses concurrents, notamment Deliveroo et Uber Eats, de moins en moins nombreux et peut-être aussi pour l’image que l’on se fait de la ville et du dernier kilomètre. Pour nombre de spécialistes, ce n’est en tout cas pas une surprise. Le modèle économique de la livraison de repas en partant des restaurants est très compliqué. Ces plateformes vivent alors de levées de fonds, qui finissent pas décourager les actionnaires, même les plus téméraires. La variable d’ajustement est le prix de la course versé au livreur. La raréfaction des livreurs dans certaines villes a encore accentué les difficultés de Foodora. Avec un chiffre d’affaires de 6 millions € et des pertes de 10 millions €, l’équation était complexe.

 

Autre événement de l’été, l’ouverture sans inauguration de la nouvelle gare TGV de Montpellier. Echec annoncé, cette gare dont le coût est de 135 millions €, ne correspondait pas à un besoin, la gare actuelle venant tout juste d’être agrandie et modernisée. Elle correspond à un modèle d’il y a 30 ans, les gares loin des villes, accessibles en voiture. La mobilité nécessite de recentrer les déplacements sur des pôles d’échange, TGV, TER, autocars régionaux et transports en communs urbains, autocars interurbains. La ministre Elisabeth Borne l’a bien compris, en refusant d’inaugurer cette gare qui va à l’encontre des modèles porteurs de valeurs environnementales. Cet investissement critiquable dans une période de restrictions budgétaires, a fait les choux gras du Canard Enchaîné, qui dénonce la « gare égarée ».

La logistique urbaine a été marquée par les annonces du 20 juillet 2018. Les Zones à Faible Emission (nouveau nom des Zones à Circulation Restreinte) se développeront dans les grandes agglomérations françaises et la ministre Elisabeth Borne a fait l’annonce de l’intégration de la logistique urbaine dans la loi d’orientation des mobilités. Elisabeth Borne a également annoncé que le co-transportage de colis pourra se développer dans un cadre adapté. Nous attendons tous avec impatience cette loi fixant alors des orientations qui découlent des Assises de la Mobilité. L’impact environnemental du transport de marchandises nécessite d’être réduit et mieux maîtrisé, tout en accompagnant l’évolution des flux. Les solutions existent, de consolidation des flux, d’un meilleur partage des infrastructures, véhicules et espaces publics, de transition énergétique, de développement de la cyclologistique.

Une mauvaise nouvelle qui nous est parvenue il y a quelques jours seulement concernant la logistique urbaine, la suspension du service Bluedistrib. Remarquable modèle basé sur des consignes de proximité, Bluedistrib utilisait pour ses consignes parisiennes les bulles Autolib. L’arrêt d’Autolib a notamment eu pour conséquence de retirer ces emplacements au service Bluedistrib. Bluedistrib recherche d’autres solutions afin de remettre en service son réseau parisien de consignes au plus vite. Espérons que cet arrêt ne soit que temporaire et que ce « nouveau mode de ville » retrouve son élan.

Parmi les annonces de l’été, la démission de Nicolas Hulot n’a échappé à personne. Là aussi, ni une bonne ni une mauvaise nouvelle, mais en tout cas pas une surprise ! La mission était-elle impossible ? Le personnage n’était-il pas fait pour être ministre ? Ce blog a d’ailleurs écrit sur ce sujet et les difficultés rencontrées par Nicolas Hulot, pourtant disposant de très larges pouvoirs. Ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle pour tous ceux qui attendaient beaucoup de ce militant porteur de messages forts et justifiés. Mais, contrairement à ce que nous entendons, son bilan ne restera pas dans l’histoire. Certes, sa principale action a été l’arrêt du projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes. On peut aussi citer son action pour réduire la part du diesel, mais est-ce suffisant ? La France ne respecte pas ses engagements pris lors de l’accord de Paris et, Nicolas Hulot le dit lui-même, il faut faire beaucoup plus et beaucoup plus vite.

Nicolas Hulot n’a pas su s’opposer à la relance du programme autoroutier, à l’urbanisation galopante des terres agricoles, à l’importation massive d’huile de palme. Cette démission est alors une opportunité pour réellement changer de modèle. Arrêter les nouvelles autoroutes, réduire la part de la voiture individuelle (et pas seulement du diesel), freiner l’étalement urbain dans toutes les agglomérations, développer les mobilités douces, développer les actions de logistique urbaine. L’échec de Nicolas Hulot était malheureusement annoncé. Faisons-en alors une opportunité pour modifier la donne et intégrer l’environnement dans tous les secteurs : l’urbanisme, la mobilité, l’énergie, l’habitat, la biodiversité et évidemment la logistique urbaine !

Enfin, la publication d’une excellente lecture en téléchargement gratuit. « La logistique, fonction vitale », réalisée par l’Institut d’Aménagement et Urbanisme. A lire absolument. Il s’agit là d’un remarquable travail de recherche et de synthèse sur la logistique urbaine, centré sur les problématiques de la région Ile-de-France, réalisé par Muriel Adam et Corinne Ropital. Bonne lecture !