corner storeLa création du service Uber Corner Store est une initiative tout à fait intéressante à analyser qui a fait la Une des sites spécialisées ces derniers jours.

Uber propose pour le moment à Washington l’achat de produits d’un assortiment très réduit (100 produits différents) en provenance de magasins de proximité. Il s’agit d’achat de dépannage comme dans un magasin de proximité. Le prix passe après le service, qui est l’urgence. La livraison est effectuée par les livreurs Uber, professionnels ou particuliers et l’application Uber.

Cette expérience est à rapprocher de celle d’Amazon, qui dans son service Amazon Pantry, propose des produits de première nécessité ramenés au volume d’un carton. Vous achetez autant de produits, dans un assortiment réduit, jusqu’à ce que votre carton soit plein.

Ce qui est intéressant dans ces différentes initiatives, c’est qu’on sort du modèle traditionnel d’internet, qui consiste à disposer d’un choix le plus large possible de produits, à un prix le plus bas possible et un transport gratuit ou presque.

C’est le service qui est privilégié. Le transport gratuit, qui est une gageure dont la durée de vie sera nécessairement limitée, n’est pas l’argument présenté. Il s’agit là du dépannage, donc du besoin urgent, quotidien, qui a un prix. Notre magasin de dépannage est plus cher qu’un hypermarché. C’est normal et peu important pour la plupart d’entre nous puisqu’il s’agit de faibles quantités de produits.

Ce que nous apprennent ces expériences, c’est aussi qu’internet est encore un vaste terrain d’expériences ou le service, et notamment le transport du dernier kilomètre, devient le maillon principal. Le problème n’est pas le produit, qui est facile à trouver, mais la livraison. Ces expériences ne partent pas du produit, mais du besoin du consommateur. C’est donc du tout simplement du marketing.

Google shopping express, Deliv, Uber Corner Store, Uber Rush, Amazon Pantry, toutes ces idées sont fondées sur la livraison et le service à l’internaute. Aucune d’entre elle n’annonce un transport gratuit. Pour une simple raison, il a un coût. L’intégrer dans le prix du produit reviendrait à augmenter celui-ci, alors même que le consommateur accepte parfaitement un prix raisonnable du transport.

La livraison du dernier kilomètre n’a pas fini de nous surprendre par son caractère innovant.

DSC_0171[1]Il y a 100 ans, la France comptait 40 000 kms de voies ferrées exploitées. Le réseau est aujourd’hui de 29 000 kms seulement, ceci en comptant toutes les constructions récentes. Ce plan de développement du réseau avait un nom, celui de Charles de Freycinet.

Charles de Freycinet

Charles de Freycinet

Ministre des travaux publics pendant seulement 2 ans, Freycinet a laissé son nom au fameux gabarit. En effet, c’est lui qui a décidé de moderniser le réseau de canaux en France en créant une norme pour les écluses et en imposant un gabarit homogène. Le sas d’écluse fait 39 mètres par 5,20 m de large. Ainsi, les barges de 300 tonnes et 1,80 à 2,20 m de tirant d’eau peuvent circuler sur le réseau.

Visionnaire, le plan Freycinet pour le réseau ferré était fondé sur un principe, l’équité des territoires devant le développement technologique. Le but était de désenclaver par l’apport du chemin de fer les régions les plus éloignées. Chaque sous-préfecture de France devait avoir sa gare. Le plan fut mis en œuvre jusqu’à la sous-préfecture la plus éloignée, à trois exceptions près, Sartène, Barcelonnette et Castellane. L’Etat impose ainsi aux compagnies privées la construction de 11 000 km de lignes nouvelles.

Cette desserte du territoire par le chemin de fer a un coût considérable. On découvre à l’époque l’absence totale de rentabilité de desservir des campagnes et petites villes du territoire. Progressivement, sous l’effet de la concurrence de la route, dont les infrastructures sont gratuites pour l’usager, les lignes sont fermées, ce à partir de 1938.

Pendant cette période estivale et ce week-end de chassé-croisé entre juilletistes et aoutiens, nous voyons des autoroutes bondées et profitons de la découverte de notre beau pays, traversé par des infrastructures d’une autre époque, celle du ferroviaire et du fluvial, abandonnées ou désespérément vides.

Evidemment, Freycinet n’était pas un bon gestionnaire. Investir dans des infrastructures structurellement déficitaires n’est pas un bon choix de gestionnaire. Cependant, rendons-lui hommage en mettant en avant ce qui nous manque aujourd’hui en France, une vaste politique d’infrastructures. Une politique énergétique dans le domaine des transports passe nécessairement par un investissement dans les infrastructures. Que ce soit la mise aux normes de notre réseau ferré, la construction du canal Seine Nord ou la construction de terminaux combinés, nous n’échapperons pas aux infrastructures pour développer une véritable politique de transfert dans le domaine des marchandises.

Si nous ne voulons pas aller vers une écologie punitive comme le font nos voisins britanniques, nous devrons nécessairement investir dans des infrastructures qui permettent un transfert énergétique sans perte d’efficacité. C’est ce qui avait été prévu et qui n’a pas appliqué dans le Grenelle de l’Environnement. Le projet de loi actuel ne prévoit rien dans ce sens, faute probablement de moyens de l’Etat. L’écotaxe était une réponse mais elle a été abandonnée au trois-quarts.

Là où Freycinet avait raison, c’est qu’un enjeu, à l’époque de desserte des campagnes et aujourd’hui de transfert énergétique, ne doit pas toujours faire l’objet d’un raisonnement de rentabilité à court terme. Dans l’enjeu actuel de transfert énergétique, c’est la santé des habitants qui est en question. Punitive ou positive, l’écologie a surtout besoin de pragmatisme et de volontarisme politique, tant pour le transport des marchandises en transit sur notre territoire, que pour la logistique urbaine.

imagesCAK8DTCLLe projet de loi de la transition énergétique pour une croissance verte est présenté ce matin en conseil des ministres.

Avant de parler du fond, parlons de la forme. Le terme « transition », qui signifie littéralement « action de passer, passage », mais aussi « défection (passage à l’ennemi) » et « contagion » n’est probablement pas le terme le plus adapté pour ce grand projet.

Il aurait mieux valu utiliser le terme « mutation » qui donne un côté plus pérenne à cette loi. En effet, lorsque l’on parle de politique énergétique, puisque c’est là le sujet, il est préférable de s’inscrire dans la durée. Les choix effectués en terme d’énergie sont des choix à long terme, s’inscrivant dans une politique d’investissements.

« Mutation » signifie littéralement « changement, transformation ». C’est donc sans aucun doute un terme beaucoup plus pertinent que « transition », qui est plus adapté à un ministre qu’à une politique énergétique !

Sur le fond, plusieurs changements essentiels concernant les transports et la logistique :

Tout d’abord le facteur 4 : diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050. Evidemment, 2050, c’est loin, même très loin. Est-il raisonnable de voir à très très long terme ? Mais bon… Cela signifie en tout cas clairement la fin du diesel. Même si les motorisations continuent à s’améliorer, diviser par 4 semble un peu optimiste, en sachant que nous visons un retour à une croissance économique.

Un second sujet essentiel est de favoriser les transports propres. Le texte de base qui favorisait les véhicules électriques et hybrides a désormais un peu étendu son champ et encourage «tous les véhicules ayant un très faible niveau d’émission de gaz à effet de serre et polluants atmosphériques». Ainsi, tous les véhicules peu polluants, type biogaz, seront concernés par la nouvelle loi sur la transition énergétique.

C’est une bonne nouvelle. Le tout électrique n’est probablement pas adapté à tous les cas de figure, notamment dans le transport. Il a le biogaz, le GNV, et d’ici 2050, nous aurons probablement trouvé d’autres idées pertinentes.

Mais si le choix énergétique est essentiel dans les transports, il est loin d’être suffisant. Il existe plusieurs axes au moins aussi importants : le transfert modal (donc moins de camions sur les routes), l’optimisation des moyens par la consolidation des flux (ce n’est pas très médiatique mais très efficace) et surtout notre mode de vie.

Le mode de vie actuel est basé sur l’augmentation continuelle des flux de transport : délocalisation, fruits et légumes hors saison, e-commerce, livraisons à domicile, …

Ce n’est pas une loi qui changera notre mode de vie. C’est plutôt une prise de conscience vers l’achat de proximité, la labellisation énergétique des produits, le made in « notre quartier, notre région ».

L’énergie n’est qu’un des maillons d’une chaîne. Elle est d’ailleurs souvent le dernier maillon d’une chaîne de consommation et de production.

Ce vaste sujet, qui semble être, et c’est une bonne nouvelle, doté d’ambitions majeures, aurait mérité un débat plus large, comme cela a été le cas du Grenelle, dont nous pouvons regretter le peu de réalisations concrètes.