Mounir Mahjoubi vient de publier une note d’analyse sur Amazon et l’emploi. Cette note interpelle, non pas par ses résultats, mais par son auteur.

Critiquer Amazon est habituel, mais le rendre responsable de tous les maux du commerce de proximité est une énorme erreur, pour plusieurs raisons :

Tout d’abord, le commerce électronique ne représente que 9% de la consommation en France. La part de marché d’Amazon, market place comprise, n’est alors que de 2% de la consommation.

Amazon n’a d’ailleurs pas inventé la vente à distance. Elle existait depuis le 19ème siècle. Dans les années 1980, la VPC représentait, avec des acteurs comme les 3 Suisses ou La Redoute, 3% du commerce physique.

Les principaux responsables des problèmes du commerce de centre-ville sont donc majoritairement à chercher ailleurs, notamment dans le commerce périphérique (les grandes surfaces et centres commerciaux). Entre 2000 et 2016, les surfaces commerciales se sont accrues en surface de 3% par an alors que le PIB n’a augmenté que de 1,5%. Nous sommes donc en France en situation de suroffre de surfaces commerciales, dont les élus sont en grande partie responsables.

Le second facteur est l’évolution technologique. M. Mahjoubi, qui a été secrétaire d’Etat à l’économie numérique, est bien placé pour savoir que la digitalisation de nombreux secteurs : la vidéo, la musique, la presse, le livre, les assurances, la banque, les voyages ou billets de transport, le courrier, la banque, impacte les commerces physiques qui deviennent souvent inutiles.

Certes Amazon, et l’étude de M. Mahjoubi le dit très bien, est plus productif et performant que le commerce traditionnel. Il emploie moins de personnes pour le même résultat. Mais ce constat est celui que nous pouvons faire dans toute l’histoire du commerce ! Zola, dans « Au bonheur des dames » explique parfaitement l’impact de la modernisation sur les modèles traditionnels. L’histoire des grands magasins (Mannoury, Boucicaut et d’autres) ou de Felix Potin montre que les formats « modernes » ont autant impacté le commerce traditionnel qu’aujourd’hui.

De nombreux emplois ont été détruits et d’autres ont été créés.

M. Mahjoubi commet une autre erreur, celle de résumer le commerce électronique au « méchant », Amazon, en opposition avec les « gentils » car ils sont français, Cdiscount et la Fnac.

Les modèles, en tout cas celui de Cdiscount, qui n’a pas de point de vente physique, sont très comparables. Il n’y a donc pas de méchant ni de gentil…

Autre point, M. Mahjoubi oublie plusieurs sujets fondamentaux du e-commerce.

Si Amazon ne crée pas assez d’emplois, si l’on écoute M. Mahjoubi, il en crée beaucoup plus que les plateformes chinoises qui inondent le marché français, comme Alibaba ou Wish, ou l’achat sur des sites européens. M. Mahjoubi devrait en priorité s’intéresser à ces pratiques. L’import e-commerce représente 20% des achats sur internet et est en croissance.

L’e-commerce, que l’on met trop souvent en opposition avec le commerce physique, est en fait une révolution du commerce. Il s’agit bien de la 3ème révolution, après celle des grands magasins au 19ème siècle ou de l’hypermarché et des centres commerciaux dans les années 1960. On peut s’y opposer, au risque de passer pour un rétrograde.

On peut privilégier les commerces de proximité, ce que je fais pour ma part le plus souvent possible ! Le consommateur a bien le droit de privilégier son commerce de quartier. C’est même un devoir.

On peut aussi se dire qu’il représente de formidables opportunités. Tout d’abord, les milliers d’entreprises qui sont présentes sur les market place Amazon, Cdiscount ou eBay, sont autant d’emplois et d’activité économique sur les territoires. Ils peuvent aussi être des commerces physiques, qui vont pouvoir étendre leur zone de chalandise. Ces entreprises vont pouvoir facilement exporter dans le monde entier. Elles vont pouvoir exister sur l’ensemble du territoire, y compris dans des zones rurales.

L’avenir d’un commerce physique n’est donc pas de s’opposer à Amazon. Il est de s’adapter au commerce électronique, au cross canal, pour en faire un enjeu de développement et d’emploi.

L’e-commerce est aussi un moyen, pour les populations rurales, d’avoir accès à de très nombreux produits, à des prix compétitifs, sans avoir à se déplacer en voiture. C’est donc un moyen d’aider à la fixation des populations rurales.

L’étude sur le sujet, publiée par la Dreal Pays-de-la-Loire, à laquelle j’ai eu la chance de participer, explique bien les enjeux de l’e-commerce pour les territoires et le commerce physique.

http://www.pays-de-la-loire.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_final_-_etude_e-commerce_-_10-07-18-1.pdf

Mais l’e-commerce n’est pas parfait et a d’énormes efforts à effectuer pour être accepté par tous. Il doit faire sa révolution environnementale.

Les colis e-commerce comprennent 70% de vide, consomment carton et plastique. Les livraisons font souvent l’objet d’échec à la présentation du livreur, avec une seconde, voire une troisième présentation. L’explosion du taux de retours dans le secteur du textile interpelle, notamment avec les nouvelles pratiques d’essayage à domicile. C’est donc une augmentation du nombre de véhicules de livraison, liés au développement du e-commerce, que nous constatons. Nous devons inciter les grands acteurs comme Amazon à rapidement améliorer cette situation en réduisant les volumes transportés, éviter les trajets inutiles, réduire les retours et mieux consolider les livraisons individuelles.

Les véhicules sont presque tous au diesel et ont bien entendu un impact environnemental.

Amazon sait d’ailleurs améliorer ces pratiques, mais dans d’autres pays. Par exemple, il est urgent qu’Amazon exporte le modèle Amazon Day en France, modèle qui permet à un internaute de regrouper ses commandes pour n’avoir qu’une seule livraison.

Enfin, nous pouvons nous étonner que M. Mahjoubi ait tant changé entre ses fonctions gouvernementales et ses ambitions d’élu local à Paris. Son successeur vient tout juste de représenter le gouvernement à l’inauguration du dernier entrepôt Amazon de Bretigny. M. Macron, et une partie du gouvernement, était présent à l’inauguration de l’entrepôt Amazon d’Amiens-Boves.

Amazon n’est-il pas tout simplement choyé et privilégié par rapport à ses concurrents ?

Le dernier kilomètre est à l’honneur ce mois-ci dans un magnifique livre sur l’histoire de l’empire Felix Potin. « Qui a tué Felix Potin ? », livre écrit par Mathieu Mercuriali et Giulio Zucchini (éditions de l’Epure), nous apprend que ce génie du commerce avait aussi tout misé sur la vente à distance et la livraison à domicile.

Petit livre résultat d’une très complète recherche bibliographique, ce livre nous explique qu’en 1887, la vente à distance (sur catalogue) représentait 70% du chiffre d’affaires de l’entreprise et 15 à 20 000 envois par jour. Nombre d’e-marchands rêveraient d’un tel volume d’affaires quotidien, notamment dans l’alimentaire !

Felix Potin livrait toute la France au départ d’un réseau de concessionnaires. Il avait sa propre flotte de véhicules de livraisons, mais aussi des triporteurs pour les livraisons parisiennes.

Basé sur une intégration verticale, allant de la production à la livraison, le modèle Felix Potin se rapproche, selon les auteurs de ce livre, de l’ambition d’Amazon.

Felix Potin apporte, comme de nombreux entrepreneurs du 19ème siècle, un modèle social autour du commerce et de la livraison.

Comme de nombreux e-marchands, avec une pratique pourtant tant décriée de nos jours, Felix Potin appliquait le même prix pour les produits achetés en magasins et ceux livrés à domicile. La livraison « gratuite » existait ainsi déjà au 19ème siècle.

Felix Potin a eu son heure de gloire en transformant le commerce, comme Amazon le fait aujourd’hui.

magasin Felix Potin en 1870

L’empire Felix Potin n’a toutefois pas survécu à d’autres formes de commerces et notamment aux supermarchés ! Le commerce est en continuelle transformation avec des cycles liés aux innovations et aux transformations.

Ken Loach aurait-il pu faire un film sur l’histoire de cet entrepreneur hors du commun ? Le travail des livreurs de Felix Potin n’était certainement pas facile mais reconnu.

Le dernier film de Ken Loach « Sorry we missed you », est édifiant sur le plan des pratiques de la sous-traitance du dernier kilomètre au Royaume-Uni. A-t-il forcé le trait sur les cadences infernales, les relations insupportables entre entreprise de transport et sous-traitant uberisé, la flexibilité nécessaire dans le dernier kilomètre ?

Quoi qu’il en soit, nous percevons l’impact social de la livraison rapide, la difficulté du paiement à la tâche et un certain retour à un 19ème siècle, mais pas celui de Felix Potin, plus social et plus respectueux des hommes.

Ce film de Ken Loach nous alerte sur les pratiques de consommation sur internet et leur impact sur la société. Exiger une livraison rapide impose alors une pression sur le livreur, sans arrêt tracé par les applications smartphone et le GPS. Il nous alerte aussi sur la responsabilité des groupes de transport vis-à-vis de leurs sous-traitants. Peuvent-ils tout exiger d’eux ? Quelles sont les limites ? Dégrader le modèle social est-il la solution à une exigence accrue de qualité et de service ?

Un film à voir absolument et sans délai !

Nous définissons la cyclologistique comme l’utilisation professionnelle de cycles avec ou sans assistance électrique, avec ou sans remorque, pour la livraison urbaine. S’intègre donc dans la cyclologistique la livraison en triporteurs, en vélos avec remorques, en biporteur ou cargocycle. La livraison des repas, de façon uberisée, avec des vélos non professionnels ne s’apparente pas, dans notre définition à la cyclologistique. Elle correspond à un autre modèle, essentiellement de déplacement lowcost.

La cyclologistique a une histoire. Il y a 150 ans, en 1869, Aimé Olivier, maire de Marennes, décide de doter pour la première fois dans l’histoire le bureau de Poste de la Ville de 2 vélocipèdes. La cyclologistique est née.

Cyclologistique implique maintenant une formation, un respect des règles de sécurité, et un matériel professionnel de transport de marchandises.

Ces équipements apportent de nombreux avantages en termes de livraison de proximité et sont plébiscités par les élus, qui souhaitent pour nombre d’entre eux les voir en plus grand nombre dans leur ville, en remplacement de véhicules diesel.

Ils peuvent aussi, pour nombre d’artisans, remplacer le véhicule utilitaire, souvent très mal optimisé et difficile à stationner.

Mais où en sommes-nous par rapport aux autres pays dans le développement de ces moyens de livraison ?

Le pays le plus en avancé au monde est vraisemblablement le Japon. La première entreprise de transport de colis, Yamato, n’utilise pas moins de 5200 vélocargos, à partir d’espaces logistiques de proximité situés dans tout le pays. D’autres entreprises, comme Japan Post, ont également fait le choix de ces moyens de livraison dans de nombreuses villes.

Logicités a d’ailleurs publié un livre sur la logistique urbaine au Japon, très en avance par rapport à d’autres pays.

En Europe, les pays nordiques, et notamment le Danemark, mais aussi l’Allemagne et les Pays-Bas font probablement figure de pays dans lesquels la cyclologistique est très présente. A Amsterdam, plusieurs entreprises disposent d’espaces logistiques de proximité permettant d’effectuer la livraison de quartier en vélocargo. En Allemagne, les microhubs mobiles (des remorques servant d’entrepôt local) ou sous la forme d’espaces de proximité, sont déjà répandus dans les principales villes.

La Grande-Bretagne, qui était très en retard dans ce domaine, est en train de le rattraper grâce à une politique très agressive de réalisation de pistes cyclables, notamment à Londres.

En Italie, dans de nombreuses villes, comme Padoue, la cyclologistique est développée pour la livraison de petits colis.

N’oublions pas la Bruxelles ou Montréal, villes dans lesquelles la cyclologistique commence à se développer avec des initiatives très innovantes. Citons notamment l’initiative mise en place par Proximus et L’Oréal à Bruxelles ou l’ELP mis en place à Montréal dans l’ancienne gare d’autobus.

Cette liste n’est bien sûr pas exhaustive mais l’analyse des réalisations permet de tirer les conclusions suivantes :

  • Le développement de la cyclologistique nécessite la mise à disposition d’espaces de proximité. Ces espaces sont souvent des pieds d’immeubles ou des délaissés urbains. Il faut en effet réduire la distance entre le point de départ et le secteur de livraison afin de trouver un modèle économique.
  • Il est nécessaire de disposer d’un secteur assez dense en livraisons, avec si possible des colis de petite ou moyenne taille. Certains matériels permettent toutefois de transporter des palettes.
  • La productivité de la cyclologistique et par conséquent la pérennité des modèles tient essentiellement de la fluidité de l’espace public.

Voici ainsi quelques propositions afin que la cyclologistique, tant souhaitée par les élus, mais aussi les habitants, puisse se développer :

  • Réduire la place de la voiture individuelle. La cyclologistique se développe dans les villes qui ont eu le courage de réduire de façon importante l’espace, tant en circulation qu’en stationnement, dédié à la voiture individuelle.
  • Supprimer les obstacles physiques, qui entravent fortement la productivité et la sécurité des livreurs : bordures, plots et autres obstacles physiques sont contraires à un développement facile de la cyclologistique. Cela conditionne notamment l’utilisation des pistes cyclables. En effet, il n’est pas possible, en cas d’entrave de la piste, de déplacer un vélocargo avec 300 kg de marchandises !
  • Permettre la privatisation de places de stationnement pour des entrepôts mobiles. Cette privatisation, éventuellement rémunérée, est indispensable pour le développement de ces modèles qui permettent de réduire le nombre de véhicules de livraison.
  • Aider les artisans à modifier leur modèle et, dans de nombreux cas, s’équiper de moyens de cyclologistique.
  • Améliorer l’état des chaussées pour réduire les coûts de maintenance, beaucoup trop élevés.