La logistique urbaine est un terrain d’expériences pour nombre d’entreprises. Groupes de distribution, start-ups, groupes de transport et de logistique, collectivités locales. Chacun pense avoir trouvé la bonne idée. Celle qui permettra d’améliorer sensiblement les flux de camions dans les villes, de réduire les embouteillages, la pollution dont nous savons le transport de marchandises en partie responsable.

Pourtant, nombre de ces expériences s’arrêtent, souvent après un an ou deux, parfois plus. C’est ainsi le cas de l’approvisionnement par train mis en place il y a 9 ans par Monoprix. Il permettait tous les jours de réduire le nombre de camions entrant dans la zone dense urbaine parisienne, donc les embouteillages et les externalités négatives générées par ces embouteillages. Il était affiché comme une des plus belles réussites de logistique urbaine. Il s’est arrêté le 31 décembre 2016.

Autre arrêt, celui de City Logistics à Lyon. Considéré par les spécialistes comme le Centre de Distribution Urbaine le plus performant en France, d’initiative privée, il s’est également arrêté en décembre faute d’équilibre économique.

Encore un arrêt, celui des Pickup Store. Ils étaient reconnus comme un des modèles permettant une massification des flux de colis à des emplacements stratégiques, dans les gares. La Poste avait mis en place 3 de ces espaces, avec des efforts de communication importants et une inauguration par le Premier Ministre de l’époque. Le site internet mentionne de façon laconique qu’après 2 ans de tests, la Poste met un terme à l’expérimentation.

Pickup Store Gare Saint-Lazare

Ces trois expériences ne constituent que la suite d’une longue liste comprenant la barge Vert Chez Vous, l’expérience La Tournée à Paris, certains ELU à Paris et de nombreux CDU à l’étranger, notamment en Allemagne. D’autres initiatives publiques ou privées semblent fragiles, dépendant largement d’aides publiques de plus en plus rares.

Pourtant, la Logistique Urbaine fait l’objet de toutes les attentions : incubateurs, colloques, renforcement des réglementations, chartes, aides publiques. Les occasions ne manquent pas pour rappeler la responsabilité des chargeurs et des transporteurs. Les start-ups et initiatives locales n’ont jamais été aussi nombreuses. Quelles sont alors les critères de réussite ou d’échec d’un projet ?

Bien sûr, chaque cas est différent mais certains points communs méritent d’être mis en évidence.

L’intérêt environnemental d’une expérience ou d’un projet n’est pas suffisant pour en assurer la pérennité. Les réglementations urbaines sont parfois peu restrictives, pas toujours incitatives et trop souvent mal appliquées.

La pérennité d’un modèle tient sur 3 éléments qui constituent les fondements de tout projet de logistique urbaine :

  • Il doit être équilibré financièrement sans aide publique. Les aides parfois accordées ne sont que provisoires. Il doit donc correspondre à un modèle économique viable dans un milieu concurrentiel.
  • Il doit permettre d’améliorer le service demandé par le client, entreprise ou particulier. Dans la période actuelle, le service est basé sur l’information, l’accélération des flux (et pas leur ralentissement) et le prix. L’argument environnemental doit alors faire partie d’un tout, qui comprend la qualité de service et son amélioration par rapport à la situation précédente.
  • Il doit s’inscrire dans un cadre réglementaire incitatif lui garantissant une pérennité par rapport aux modèles de distribution traditionnels. Si une initiative volontaire pertinente sur le plan environnement et du service est mise en place, et si, en parallèle, les solutions traditionnelles peuvent continuer à fonctionner sans aucune contrainte, alors le projet nouveau aura du mal à exister sur la durée.

La pérennité d’un modèle de logistique urbaine tient beaucoup du niveau d’engagement de l’entreprise, de sa politique de développement durable sur le long terme, de ses priorités. La compréhension des enjeux de la logistique urbaine auprès des directions RSE et des directions générales est alors un des éléments pouvant favoriser la pérennité des solutions expérimentées.

De l’Europe aux Etats-Unis, un des discours, mis en avant par les protectionnistes, mais aussi par beaucoup de responsables de tous bords, est de mettre un terme à la délocalisation des activités économiques.

Depuis des années, et même des décennies, des pans entiers de notre économie sont partis loin de chez nous, en Chine ou ailleurs. Malgré les discours politiques, le mouvement ne s’arrête pas, loin de là.

La première délocalisation semble dater de 1867. L’entreprise américaine Singer, de montage de machines à coudre, avait à l’époque décidé de délocaliser une partie de sa production en Ecosse, qui avait à l’époque un coût de main d’œuvre plus bas. Cet exemple de délocalisation vers la Grande Bretagne a été suivi par différents autres industriels, dont Eastman Kodak.

Singer Sewing Machine Factory Kilbowie, Clydebank, Scotland

La délocalisation, dont l’histoire est aussi associée au capitalisme américain et à Ford, qui dès le début du 20ème siècle, avait commencé à fabriquer des voitures dans des pays à bas coût de main d’œuvre.

Le second mouvement est plus tardif et date des années 1960, avec la délocalisation de nombreuses activités du Japon vers d’autres pays asiatiques proches.

Depuis lors, le mouvement n’a eu de cesse de s’étendre à de nombreux secteurs de l’économie et à tous les pays industrialisés, avec des transferts vers des pays de plus en plus éloignés et de plus en plus pauvres.

Dans le secteur du textile, un exemple emblématique est celui du groupe irlandais Primark, dont le modèle est proche du hard discount ou du low cost, avec des produits fabriqués notamment au Bangladesh, donc achetés extrêmement bon marché. Primark se targue sur son site web d’une éthique particulièrement développée, d’une politique environnementale. Primark avait pourtant fait la une de la presse lorsque l’usine d’un de ses sous-traitants s’était effondrée avec 581 décès. Primark a d’ailleurs indemnisé les familles à hauteur de 6 millions £ soit 10 000 £ par décès…

Les coûts bas des produits en magasin sont la conséquence du coût salarial, mais aussi d’économies sur l’ensemble de la chaîne, allant de l’immobilier à la sécurité.

Au-delà de ces drames caractéristiques de la délocalisation poussée à l’extrême, penchons-nous sur les conséquences environnementales de celle-ci, souvent oubliées.

L’Europe (et les Etats-Unis) n’ont fort heureusement pas perdu toute leur industrie. De nombreux composants utilisés dans la fabrication, que ce soit des vêtements, de l’électronique ou de l’automobile, restent fabriqués dans les pays occidentaux.

Ainsi, la délocalisation, souvent assimilée à du travail à façon, induit des flux dans les 2 sens, souvent en conteneurs maritimes. Pour le secteur du textile, il s’agit ainsi d’acheminer des tissus vers l’usine lointaine, puis importer des produits finis.

Les risques d’une délocalisation lointaine, démultipliés par l’évolution du marketing (Primark a par exemple 12 collections par an) impliquent également la création de stocks de sécurité près des bassins de consommation ou en tout cas des stocks plus importants afin de faire face aux aléas de la production, mais surtout de la consommation. Ce sont donc des surfaces supplémentaires d’entrepôts nécessaires afin de compenser la délocalisation lointaine.

La délocalisation implique plus de transport dans les deux sens (souvent maritime mais parfois aérien en cas d’urgence) et des surfaces supplémentaires d’entrepôts en Europe.

Sauf à prendre des mesures fortes contre la mondialisation, qui impliqueront nécessairement une inflation sur de nombreuses catégories de produits, ou une baisse sensible des salaires permettant de produire à nouveau en France, ce qui aurait d’autres conséquences, une solution intermédiaire, permettant de réduire les coûts environnementaux, consiste à délocaliser moins loin. C’est ainsi le cas de l’Europe de l’Est, et du bassin méditerranéen. De nombreux groupes, tels Zara, ont choisi cette option qui leur permet d’apporter beaucoup plus de flexibilité. Certes, les salaires sont plus élevés qu’au Bangladesh, les réglementations plus contraignantes. Mais les délais de transport sont réduits, par conséquent l’impact environnemental. Le Maroc et la Tunisie, territoires traditionnels de délocalisation textile, ont été délaissés au profit de pays d’Asie à coût de main d’œuvre encore plus bas. Un cheminement inverse semble possible, avant d’imaginer que nous retrouvions dans nos pays des usines textiles.

Un déplacement progressif vers des usines plus proches permet aussi, dans ces pays émergents de proximité de la zone Europe, de pouvoir faire en sorte qu’une partie de la production locale soit consommée dans le pays ou dans la zone, venant alors aider au développement de ces pays et à une consommation plus locale.

Ces flux sont alors des flux locaux, d’une usine délocalisée vers un marché de proximité.

L’e-commerce, le cross-canal, la réactivité demandée par le consommateur sont des facteurs qui inciteront les enseignes à revenir vers une fabrication de proximité, avec moins de stock, plus de réactivité… et moins d’impact environnemental.

Un candidat à l’élection présidentielle a récemment proposé de taxer les robots. Cette idée vient du principe, notamment mis en exergue par une étude de l’Université d’Oxford, que 47% des emplois seraient automatisables d’ici 20 ans.

La logistique, et probablement la logistique urbaine, comme d’autres secteurs de l’économie (caisses de supermarchés par exemple) sont directement concernée par cette mesure.

L’automatisation dans les entrepôts n’est pas nouvelle. Les transtockeurs à palettes existent depuis les années 1980, comme les chaînes de mécanisation de tri de colis.

La machine elle-même est significative de progrès technologique, gain de productivité et baisse des coûts de production, amélioration de la qualité et surtout baisse des risques dus au travail physique et à la pénibilité. Depuis le 19ème siècle, la machine remplace l’homme dans des tâches industrielles nombreuses.

La robotisation ne serait-elle que la continuité de cette tendance qui nous vient de la révolution industrielle ? La France est-elle un pays plus favorable que d’autres pour un développement de la robotisation ? Nous allons essayer de donner quelques pistes de réflexion pour le sujet qui nous concerne.

La robotisation (nous ne parlons plus d’automatisation et encore moins de mécanisation), apparaît dans la logistique avec notamment plusieurs orientations.

Tout d’abord, les entrepôts automatisés (les transtockeurs) ont vu leur champ d’action passer de la gestion des palettes à la préparation de commandes au colis. Ainsi, les entrepôts robotisés de E. Leclerc ou Intermarché, avec des technologies comme celles de Witron ou Vanderlande, constituent une évolution majeure dans la logistique. Gains de productivité, meilleur utilisation de l’espace, mais évidemment moins d’emplois.

Autre exemple dans la logistique e-commerce. La technologie « goods-to-man » qui permet au préparateur de rester à poste fixe et à l’étagère de stockage de se déplacer vers l’opérateur, constitue une évolution (et peut-être une révolution) dans le fonctionnement d’un entrepôt. Cette technologie est massivement développée par Amazon, qui a acquis le concepteur de ces robots, Kiva systems, transformé en Amazon robotics. Amazon mentionne clairement que son objectif est d’abord de réduire le coût de préparation de commandes dans un secteur en très forte croissance. La société française Scallog propose des solutions équivalentes, mises en place dans plusieurs sites logistiques.

Sur le plan de la livraison, nous assistons à l’émergence des véhicules autonomes (donc robotisés), des robots-droides de livraison de colis, des drones. Il s’agit là de robotiser le travail de transport d’un colis et d’acheminement au consommateur. Nous parlons d’émergence car nul ne sait encore quelles en seront toutes les applications et quelle sera la portée de ces technologies sur le métier de la livraison.

Ces quelques exemples montrent que, bien sûr, les robots trouvent en France un terreau favorable, du fait du coût de la main d’œuvre peut-être plus élevé que dans de nombreux pays.

Mais la robotisation est aussi accélérée par la réglementation sur la pénibilité du travail. Amazon, car c’est lui qui était visé, bien que ce fait concerne l’ensemble des entrepôts e-commerce, était par exemple accusé d’accentuer la pénibilité du travail en « forçant » ses préparateurs de commande à marcher 10, 12 kilomètres par jour, voire plus.

La robotisation produit plusieurs effets comme l’a été la mécanisation dans le passé :

  • Réduire la pénibilité du travail
  • Réduire l’emploi dans des tâches primaires et répétitives
  • Réduire les coûts de production
  • Améliorer le niveau de qualité et de régularité du travail

Cela s’appelle probablement le progrès technologique. Taxer le progrès reviendra probablement à accélérer la délocalisation vers des pays qui non seulement l’acceptent, mais l’encouragent.

Une autre option, et c’est celle-ci que ce blog soutient, est non seulement de ne pas taxer la robotisation, mais d’encourager les start-ups qui développent des concepts de robotisation, de les aider, de les accueillir, afin que la robotisation devienne une filière française, et pas seulement allemande, américaine ou chinoise. Il s’agit là d’un énorme champ d’opportunités dans un marché qu’une simple taxe n’arrêtera pas. Le progrès n’a jamais été freiné par l’impôt.